L’entreprise est un jeu. La collaboration, ce sont des codes, à commencer par celui du vêtement. Quand on est Directeur de la Communication, on n’est pas censé venir en bleu de travail ou en blouse blanche. Pourtant, cela pourrait avoir du sens. Quand on bosse dans une PME, on ne doit pas hésiter – ô combien – à mettre les mains dans le cambouis. Mais contrairement à ceux qui le côtoient – le vrai cambouis – on a plutôt tendance à le mettre en avant que de s’en protéger. C’est une valeur comme une autre, et, j’imagine, une forme de reconnaissance.
Je viens tous les jours vêtu (entre autres choses) d’une chemise impeccablement repassée. Et rasé de près, au moins un jour sur deux.
Et maintenant ?
En short et tongs, voire pieds nus, depuis le début du confinement. Seulement, quand survient le Comité de Direction, que faire ? Je ne peux raisonnablement me présenter dans mon plus simple appareil domestique.
Alors je ripoline, sur ce qui est visible. Comme dans la vraie vie, le visage est soigné et à peu près éclairé. La chemise également. Et une montre, pour ne pas surprendre sur mon image quotidienne.
Le reste est invisible à la webcam, et on ne montre que ce que l’on a décidé de montrer. Quel confort !
Cela illustre parfaitement la superposition, comme dans un irish coffee, des diverses strates de l’existence à un instant précis. Les pieds sur la terre de ma campagne natale et souvent vacancière, mon image collaborative est happée par webcam vers l’Ile de France et les divers lieux de confinement de mes collègues.
Qu’en est-il du cerveau ?
Il va plutôt bien, merci. A croire que le télétravail, propice à une moindre dispersion, permet d’être plus ordonné, voire, de choisir ce qui nous dérange, et quand.
Surtout que dans l’absolu, les moyens de communication fonctionnent bien, à quelques exceptions près, ce qui évite de dilapider son énergie pour obtenir un bon niveau d’information.
Tout campagnard que je suis – dans le temps actuel et d’un point de vue ontologique – j’ai la chance d’être plutôt bien équipé (titre). Mais lorsque le comité de direction a lieu, dans lequel nous sommes une douzaine de connectés, ma bande passante agonise. Ma webcam se coupe, et je ne suis plus qu’une voix lointaine, dans ma chambre de jeunesse (enfuie !).
Quant à mes collègues, pour ceux qui sont visibles, ils se figent dans d’étranges postures, ont le front à la place du menton ou saccadent en rappelant les bonnes vieilles images de Canal+ en crypté sur le réseau hertzien.
Lorsque les uns et les autres parlent en même temps, et que le réseau coupe, que l’on rame pour retrouver une connexion et que l’on a perdu cinq minutes voire plus d’une séquence, il est délicat de demander le replay.
L’éloignement cause aussi de surprenants effets. Lorsque l’on est persuadé de dire quelque chose d’intéressant, et que cela cause un grand bide. Personne ne réagit. Et on passe à autre chose. Moment de solitude au sens propre comme figuré. Où l’on accepte, aussi, parfois, de lâcher prise. Il est impossible de tout capter, cartographier. D’une part.
Et aussi, on ne peut plus user de sa force persuasive éloquente. En tous cas bien moins. Le jeu de l’assemblage des individualités dans une même pièce suppose une juxtaposition de caractères qui interagissent en fonction des attitudes ou postures, pas uniquement des arguments et de la voix.
En visio, la cartographie des charismes est complètement bouleversée. Et c’est un point à prendre en considération.
Peut-être deviendrons-nous un peu plus synthétiques.
Mais pas trop tout de même.
Tous hommes et femmes troncs en 2D que nous sommes devenus, continuer d’aimer les digressions devrait contribuer à préserver notre humanité, toute entière, espérons-le, à la fin de cet étrange repli.